Neige (fragments de)
En regardant les grands arbres s'endormir sous la neige, l'homme pensait qu'il n'avait jamais rien vu de plus triste ni de plus beau que cet effacement du monde. Les points de suspension de ses pas sur le blanc du sol s'estompaient en descendant jusqu'au ventre de la vallée. Plus haut sur la crête, le gamin traînait le gibier derrière lui ; le cadavre d'un grand lièvre roux aux yeux noirs, ficelé par les pattes arrière.
Le gamin a crié.
– Reste pas là assis par terre, le vieux ! Tu vas nous faire venir la mort !
Le vieil homme, en bas, ne pouvait plus bouger. Et son regard opaque avait rejoint l'immensité du ciel blanc. Sous son lourd manteau de laine, son cœur frappait les secondes d'une horloge fatiguée.
– Reste pas là, le vieux ! Relève-toi !
De minuscules flocons tourbillonnaient dans l'air glacé. De là-haut, le gosse voyait briller une sorte de vapeur de lumière. Juste au-dessus de la masse noire et inerte du manteau de laine.
Lorsque le grand lièvre commença à s'agiter dans une rafale de spasmes, le gamin regardait encore vers le contrebas de la crête. Il n'avait pas vu derrière lui la lueur diffuse qui enveloppa un court instant le corps de l'animal. Ce halo scintillant, presque insignifiant.
La pauvre bête frappait la neige de ses pattes arrière prisonnières. À l'autre bout de la corde, le petit homme pleurait. Il a couru jusqu'au monticule de laine noire qui recouvrait le vieux. Il a prix le fusil. Il a remonté le talus enneigé. Et il a tiré trois coups à bout portant dans le gosier du grand lièvre.
À ce moment précis, le gamin devenu vieux a vomi un hurlement de loup et la forêt s'est éteinte. Laissant la place à une nuit froide et dure. Scellée dans un néant de roche.
– Dans mes carnets, mots en vrac, écrire des fragments de froid
et puis boire un chocolat chaud –
(rien à voir avec mon nouveau livre en cours)