Mise au point avant la rentrée « littéraire »
J’entends souvent dans la bouche de gens intelligents, lettrés et cultivés :
« Moi, je n’aime pas la BD ». Et ça me rend triste d’entendre ça.
Dire que l’on n’aime pas la bande dessinée, c’est aussi crétin que de dire que l’on n’aime pas la chanson (à cause de cet abruti de Francis Lalanne). Ou que l’on n’aime pas la poésie (à cause de ce nigaud de Paul Géraldy). Ou que l’on n’aime pas le cinéma (à cause de cette andouille de Franck Dubosc).
Mais en même temps, je comprends, hein…
La bande dessinée, qui souffre encore d’une image ringarde d’un autre siècle, croyant se moderniser, s’est engouffrée depuis une dizaine d’années dans une pataugeoire remplie de récits sclérosés dans le réel, caressant gentiment l’échine de la foule dans le sens du poil, englués dans des poncifs du genre : la guerre c’est affreux, être méchant c’est pas beau, le mal c’est pas bien, etc. Des histoires descriptives, poussives et utilitaires (oui, utilitaire comme le c15 de chez Citroën). Des livres à thème, des biopics, des reportages dessinés… qui sont à dix mille années-lumière de ce que doit être la littérature ; c'est-à-dire, l’inverse du journal télévisé, du bulletin météo ou du manuel d’histoire-géo.
Comme disait l’autre : « C’est avec les bons sentiments que l’on fait de la mauvaise littérature. »
Si la bande dessinée ne devient pas littérature dessinée en se réappropriant la fiction romanesque, elle ne sera jamais un art. Même pas un art mineur. Juste un pauvre tas de publications journaleuses, pondues par des auteurs non-artistes, brandissant un engagement vaguement social et soigneusement vaseliné.
Les éditeurs qui, dans leur démagogie dégoulinante, fourguent à la pelle ces livres suppositoires, sont entièrement responsables de cette débâcle (qui, de surcroît, alimente la surproduction... mais c’est un autre débat).
Heureusement la bande dessinée littéraire existe encore (celle qui dérange, bouleverse, et nous invite dans un ailleurs, très loin de nos petites certitudes). Mais cette bande dessinée est de plus en plus rare et invisible. Elle est donc précieuse. Je compte sur vous pour ne pas l’oublier.
Bonne rentrée à toutes et à tous.
– Dans mes carnets, mots en vrac, écrire des fragments de « j’écris ce que je pense »
et de « je panse ce que j’écris » –