® d'inutilité·e·s publique·e·s
Reléguée à un tout petit suffixe sexué, séparé du mot – porteur du véritable sens – par d'insignifiants points médians, les glorieuses femelles inclusives reniflent enfin le vent du progrès. Comme les gourous new-age respirent le prana afin de se nourrir exclusivement de la lumière cosmique qui embrase le ciel du soir sur l'Himalaya. Le fond de l'air est frais (Laïho, Laïho...) et soudain, le fond du texte s'estompe, dégoulinant sur le brouillard de sa propre forme écrite ; typographiquement tarabiscotée, consensuellement molle et publicitairement démagogique. Le féminisme 2.0 du troisième millénaire réinvente l'eau tiède : « Vous ête·e·s tou·t·e·s sommé·e·s de me lire inclusivement·e·s ».
Quel que soit son sens premier, chaque phrase ainsi domestiquée par cette novlangue se transforme, subliminalement et inévitablement, en slogan activiste de manif formatée pour les réseaux sociaux, avec les fantômes de mamie Olympe de G. et tata Simone de B. selfisées au porte-voi·e·s et en bas résille (le spectacle est offert). « Les fleur·e·s se fanent aussi vite qu'elle·e·s éclosent ». Et le salaire de la fleuriste est hélas toujours 30 % plus bas que celui du barman. Garçon, l'addition...
Les belles autrices narratrices se caressent l'entrecuisse, à quatre pattes dans le champ – lexical – de la lutte. Exclues à tout jamais du grand tout originel de l'exclusivité de la langue. La vraie langue. Celle qui n'est ni lissée, ni pasteurisée, ni apprivoisée. La langue véritable. La langue sauvage – sans muselière typographique – qui ne garantit aucun sécuritarisme syndical antidiscriminatoire mais qui, en totale liberté, peut encore et toujours te traiter de sale connard, de vieille salope, d'ange ou de déesse. La langue qui lèche, qui râpe, qui frappe, qui grince, qui griffe, qui se bat, qui donne du fil à retordre à la pensée profonde et complexe. La langue capable de dire je t'aime, va te faire foutre, dans la même phrase. La langue qui, mesdames et messieurs, n'a pas besoin de garde-fous pour nous pousser à formuler précisément toutes nos spécificités, toutes nos contradictions, et tous nos engagements. La langue vivante ; insolente et exigeante. Pas cette langue qui s'écrit du bout des doigts comme du morse en pointillé, la bouche en cul de poule, avec multiples précautions constipatoires. Non, pas celle-là. Celle qui parle, qui mord et embrasse pour de vrai.
[ NB : Une écriture distordue qui remplace le sens par le signal et qui tend à donner un air de neutralité à des arguments en réalité idéologiques – quelles que soient les bonnes ou mauvaises intentions de cette idéologie – est un usage malhonnête du langage, tout simplement. ]
— Dans mes carnets, le féministe croyant mais non pratiquant,
que je suis, pèse ses mots en vrac —
(illustration : Catalogue des Objets Introuvables / Jacques Carelman, 1969)