Cinéma
Putain, quinze ans...
Quinze ans à bâtir une œuvre habitée de dessin et de littérature, cohérente et sincère, bradée par les libraires qui survivent à trente-huit pour cent de marge sur le dos de la surproduction éditoriale en pleurnichant dans la benne à ordures. Continuer à bien huiler la machine pour sauver les acquis sociaux de la masse salariale des grosses maisons d'édition et des petits épiciers du livre, alors que la foule ne lit plus de littérature et consomme de l'édition utilitaire, du buzz facebook-google, de la story sur instagram et du bouillon de culture netflix. Le marché du livre à subi une chute vertigineuse en 2017 et dramatique en 2018. La rentrée 2019 annonce le chant du cygne.
Excuse-moi, mais... je n'arrive plus à voir ce qu'il y a de glorieux dans ce mirage d'un privilège d'être encore publié afin de pouvoir continuer à engraisser le cadavre littéraire éditorial en étant payé une misère à dix pour cent de droits d'auteur sur le gâteau à partager. Je ne suis pas Saint François-d'Assise. Dieu merci. Je ne suis qu'un petit-fils de paysan qui fait l'auteur, les poches vides, la tête haute. Tu parles d'un projet de vie...
Au bout du « conte », depuis quinze ans ; une petite notoriété, les honneurs des salons-kermesses littéraires, invité comme une vieille rock-star dans les hôtels ibis, une pseudo-reconnaissance, du blabla presse bobo parisienne, parler au micro à la radio de mes deux, des ventes honorables, une grosse dizaine de milliers de lecteurs... Tout cela peut se concevoir comme une certaine réussite, vu de l'extérieur. Une forme de richesse. Faire semblant que tout va bien pendant quinze ans. Du cinéma... Une fausse richesse, en somme. Un rôle de riche, donc.
Tu sais ce que disait Charlie Chaplin ? Quand on lui demandait pourquoi il avait l'air si triste... Il disait, je suis triste parce que je suis devenu riche en jouant des rôles de pauvres. Moi, c'est l'inverse. Je suis triste parce que je suis devenu pauvre en jouant un rôle de riche. Et c'est la même tristesse à l'envers.
— Dans mes carnets, à l'endroit —
(Après le générique de fin, travelling sur l'horizon,
puis caméra zoom avant vers un ailleurs providentiel. Moteurs...)