Reprenons le cours ordinaire de l’histoire, débarrassée de sa majuscule omnipotente. Et essayons de faire réapparaitre ce qui a été effacé.
Au tout début du XVIème siècle, quelques curieux, archéologues, artistes... découvrent avec stupéfaction, à la lueur tremblante de leurs torches, dans des cavernes enterrées de Rome, les fresques de ce qui fût la Domus Aurea de Néron. En raison des remblayages successifs du sol, ces espaces souterrains, qui étaient dans l'Antiquité des salons en rez-de-chaussée, étaient appelés à Rome, des grottes. D'ou le nom du courant pictural de ce chapitre oublié de l'histoire de l'art, en marge de la Renaissance : la « grottesque ».
En pleine période humaniste surchargée de thèmes religieux dégoulinants de néo-classicisme condescendant, certains artistes du cinquecento s'approprient en cachette ces nouveaux codex décoratifs, subversifs et souterrains surgis des temps anciens. Une décoration aérienne, verticale et proliférante, un paysage de fantaisies païennes, de contes de fées, d'ésotérisme alchimique, de fanfares panthéistes, d'éléphants, de chats huants, de singes et d'abeilles, de crânes et d'escargots géants, de lions et de cornes d'abondance échevelées, d'ornements enchevêtrés, hybrides et jubilatoires, qui nourriront à mots couverts les inspirations futures de la Renaissance, et plus tard celles des arts décoratifs et du surréalisme du XXème siècle, réinventant sans relâche la superbe folie oubliée des marges enluminées du Moyen-âge.
Au fil du temps la « grottesque » perdra un t afin de devenir cet adjectif synonyme de bouffon, ridicule et insupportable. Le vocabulaire, lui aussi, s'encanaille parfois avec le révisionnisme.
— Dans mes carnets, fragments de notes —
(Peinture : anonyme / Salle de l’Amour et Psyché, vers 1530 / Rome, château Saint-Ange)