La première idée forte du roman « American Gods » de Neil Gaiman, publié en 2001, est que si personne ne croit en toi tu n'existes plus. C'est l'angoisse existentielle la plus prégnante qui occupe l'esprit des anciens Dieux dans ce récit ; l'âme des croyances ancestrales qui, transportée par bateaux avec les migrants européens, finit échouée sur les terres du nouveau monde. Ils sont nombreux les anciens Dieux... À la dérive. Ils sont devenus américains mais ils sont obsolètes.
C'est la deuxième idée forte du roman ; l'obsolescence... Les nouveaux Dieux, eux, sont nés avec la révolution industrielle. Ils n'existent que par l'obsolescence et grâce aux mises à jour perpétuellement orchestrées par un certain Monsieur Monde. Technical'Boy, dieu des nouvelles technologies de la communication au début du XXème siècle, deviendra Le Binaire au XXIème siècle ; un petit dieu de l'internet, psychopathe et adulescent. Média, une pseudo-divinité lookée comme une animatrice en noir et blanc de l'american TV des fifties, deviendra, dans la deuxième saison de la série, NéoMédia ; une bimbo asiatique hystérique et cruche comme un avatar de TikTokeuse.
Friedrich Nietzsche avait annoncé la mort de Dieu. Carl Gustav Jung affirmait que les Dieux qui meurent renaissent en de nouvelles et multiples formes... Neil Gaiman n'annonce rien, n'affirme rien. Il raconte... « Dis-lui bien qu'on a reprogrammé cette réalité de merde. Que le langage est un virus, que la religion est un système d'exploitation et que les prières ne sont rien d'autre que du spam à la con ! » (chapitre 2, page 72).
C'est brillant. Cruellement intelligent. Neil Gaiman dirige l'adaptation cinématographique de main de maître, profitant de ses visions prophétiques de 2001, écrites dans son roman, pour aller encore plus loin en 2020 avec la série. Cerise sur le gâteau ; la production se joue avec malice et ironie des codes imposés par l'époque et par les plateformes numériques de diffusion ; la désormais fameuse dictature de la diversité, des minorités sous-représentées, du genre, du sexe, du racialisme... etc. Tout cela, sans pouvoir être accusée de la moindre moquerie (ou de la moindre offense, comme on dit aujourd'hui) puisque la série utilise au pied de la lettre tous ces nouveaux codes en vigueur pour amplifier le propos de Neil Gaiman jusqu'à la caricature, tout en accompagnant la juste cause afro-américaine, sans grandiloquence mais avec une belle et lucide sincérité. Bref... Un pur régal. Le génie visionnaire à l'état brut.
(Mise à jour du 3 février 2021)
Seule ombre au tableau : la récente couille molle' attitude de la production qui efface purement et simplement le rôle de Marilyn Manson dans les épisodes de la saison 3, à la suite d'une plainte pour viol présumé. Dommage. C'était un beau personnage ce Johan ; star de métal gothique, disciple d'Odin... Mais n'oublions pas que nous sommes en Amérique. Et en Amérique, le petit dieu mesquin de la vindicte populaire lynche et efface les accusés avant même que la justice ait eu le temps de les juger... Comme si cette saloperie de cancel culture s'invitait sournoisement dans le scénario de la série afin de surligner la folie dystopique de ce pays et de cette époque merdique. CQFD ?
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