« C’est une histoire d’amour et de mort en terre d’or, et elle commence par le pays. La vallée de San Bernardino n’est qu’à une heure de route à l’est de Los Angeles par la San Bernardino Freeway, mais à certains égards c’est un endroit étranger ; non pas la Californie côtière des crépuscules subtropicaux et des doux vents d’ouest du pacifique, mais une Californie plus rude, hantée par le Mojave juste derrière les montagnes, dévastée par le souffle sec et brûlant du Santa Ana qui s’engouffre entre les cols à 160 km/h, gémit dans les eucalyptus coupe-vent et tire sur les nerfs. Octobre est le pire mois pour le vent, le mois où il est difficile de respirer et où les collines s’embrasent spontanément. Il n’a pas plu depuis avril. Chaque voix semble un cri. C’est la saison du suicide et du divorce et de la terreur rampante, partout où souffle le vent. Les mormons se sont installés dans ce pays inquiétant, puis l'ont abandonné. Mais quand ils partirent, les premiers orangers avaient déjà été plantés et, pendant les cent années suivantes, la vallée de San Bernardino allait attirer des gens qui s'imaginaient pouvoir vivre au milieu de fruits talismaniques et prospérer dans l'air sec. Des gens qui apportèrent avec eux leurs mœurs du Midwest en matière de construction, de cuisine, de prières, et qui essayèrent de greffer ces mœurs sur cette terre. La greffe prit de curieuses façons. »
— Joan Didion © 1966 / « L’Amérique », Chroniques / éditions Grasset —
(Photo : vidéogramme d’après « Jerry Cotton G-man Agent C.I.A. », un pulp movie de 1965)