Sociologia
— Dans mes carnets / Archives —
Voici venir
du Nord
tous ces enfants
superbes
trottinant d'Est en Ouest
et vers le Sud
en croisade
millénaire
à travers les mondes
en ruine
suivant dociles
l'immense procession
et la flûte qui désenchante
sans fin
les rêves d'avenir
jusqu'au jugement
dernier
— Dans mes carnets / Écrire des fragments légendés —
(illustration : Le Joueur de flûte de Hamelin / Relevés de dessins
d'enfants, collectés par Miss Sara Cone Bryant vers 1900)
L’arcane du Fou est la XXIIe et dernière lame du tarot de Marseille. Mais puisqu'il est libre de se placer où il veut et quand il veut, au début ou à la fin du jeu, le Fou échappe ainsi à la numérotation. C'est l'arcane sans nombre. « Je ne suis pas un numéro ! », nous dit cette lame qui a donné naissance au Joker de nos jeux de cartes modernes, celui que l’on place de façon artificiellement providentielle lorsque la situation est difficile ou désespérée.
Depuis le XVe siècle, l'arcane majeur sans nombre est la figure du vagabond, du hors circuit, de celui qui gène, celui qui dérange... Et, en miroir, il est aussi le symbole des solutions socialisantes pour intégrer l'électron libre coûte que coûte et finalement le marginaliser ou l'exclure encore davantage, jusqu'à le détruire complètement, sous couvert de différentes idéologies sociétales ; religieuses, fascistes ou collectivistes (le couvent, le bagne, Auschwitz, le Goulag, etc.). L'état laïc et démocratique offre généreusement au fou l'alternative de l'hôpital psychiatrique. C'est plus propre. Plus clinique... Et puis c'est La Science, nom de Dieu !
Comme pourrait nous le faire croire le folklore clownesque autour de la figure contemporaine du Joker hollywoodien, l'arcane « XXII » n'est pas le symbole antisystème ou révolutionnaire de la destruction du carcan social. Il n'est pas l'icône du « Social Justice Warrior ». Il est tout simplement l'image de la fuite dont on ne cessera jamais, comme Henri Laborit, de faire l'éloge : « Se révolter, c'est courir à sa perte, car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l'intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la soumission du révolté... Il ne reste plus que la fuite. »
L'arcane sans nombre nous dit humblement : « Je ne change pas le monde en semant le chaos et en criant mort aux riches. Ça ne sert à rien... Je change mon monde à moi, je fuis et je prends la route avec mon baluchon. »
— Dans mes carnets de route, notes en vrac —
(Gravure du XVIème siècle / anonyme)
— Dans mon atelier / Légèreté / acrylique blanche sur tôle rouillée /
20 x 17 cm / Thierry Murat © 2007 —
Au début du XIXème siècle, le mouvement parnassien « L’art pour l’art ! » tapait fermement du poing sur la table. Théophile Gautier, qui en fut un de ses plus virulent porte-parole, affirmait que l’art ne devait servir aucune autre cause que lui-même. « Le poëte impeccable et parfait magicien ès lettres françaises » à qui Baudelaire dédiera plus tard ses fleurs maladives, confirmait ainsi, que l'art doit être dépourvu de toute fonction didactique, politique, morale ou utile. Tout ce qui est utile est laid (cf. le balai à chiotte, la serpillère, le k-way, le sac poubelle, ou le gilet fluorescent…).
Aujourd'hui, près de deux siècles plus tard, l'art et la littérature contemporaine ont, la plupart du temps, tendance à ne servir la soupe qu’à de gentilles causes sociétales ; la lutte des classes, l'antiracisme, la justice sociale, les migrants, la théorie du genre, l'anticapitalisme, le féminisme, l’identité de groupe, l’orientation sexuelle, l'écologie, la famille homoparentale, la désobéissance civile, la cause animale, le devenir de la planète, et cætera... et cætera ; du prêchi-prêcha d’aumônier qui nous rassure dans nos certitudes en rabaissant l'art et la littérature au rang moralisateur et « poncifical » du sermon antalgique. Bref, ça n'a aucun intérêt. L'art et la morale n'ont rien à faire ensemble.
Une œuvre artistiquement remarquable peut, éventuellement, porter ou défendre une « noble » cause uniquement si elle se supporte d'abord artistiquement par elle-même. Les œuvres d'art sont, et doivent être – sinon ce n'est pas de l'art – autotéliques, du grec ancien αυτοτελές / autotelés : « qui s'accomplit par lui-même ». En clair, un diamant brut, même taillé dans l’immoralité la plus extrême, demeurera un chef-d’œuvre éternel. Et la merde, bien que pétrie de bonnes intentions moralisatrices, restera inéluctablement de la merde. Ne l'oublions pas.
— Dans mes carnets en vrac / Ceci étant dit, afin que les choses soient dites —
« Famous last words »
— Dans mes carnets / Fragments fleuris & typographiés —
Le fait de ne pas nommer les choses est, pour nous humains, extrêmement difficile tant il nous est impossible d’accepter ce que nous ne voyons pas. Nos angoisses et nos frayeurs se reflètent en miroir dans l’arcane XIII ; l’arcane sans nom. Le destin n’est pas nommable.
Le tarot de Marseille est franc et radical, il est à l'opposé des superstitions imbéciles. Et c'est là que réside tout le paradoxe de cette lame. L'arcane XIII a le pouvoir de régénération et de transformation ; la peur de la mort devient alors, la mort de la peur.
— Dans mes carnets / Fragments gribouillés —
« Les clichés sont des modèles simples, frappants,
mémorables et faciles à communiquer.
Ils peuvent signifier l'essentiel d'une idée.
Ils ont la possibilité de devenir monumentaux. »
— Roy Lichtenstein —
(Dans mon Digital Revio / Fragment de paysage photographié à travers trous)
Parfois, les écrans de contrôle projetaient les songes de nos avatars.
Et c'était comme une embrasure saturée d'antiparticules qui dansaient sur les parois carcérales de notre boite crânienne.
— Dans mes carnets, souvenirs quantiques —
(Dans mon Digital Révio / Fragments)
« Les relations humaines sont fondées sur les chiffres. »
— Paul Valéry —
(Dans mes carnets, typographier de vieux autochromes polissons de 1900)
Nous avons
du mal
à y croire
mais
regarde
ce qu'il reste
de nos comptines
monochromes
qui s'écroulent.
— Dans mes carnets en vrac —
(Dans mon atelier, fragments)
Putain, quinze ans...
Quinze ans à bâtir une œuvre habitée de dessin et de littérature, cohérente et sincère, bradée par les libraires qui survivent à trente-huit pour cent de marge sur le dos de la surproduction éditoriale en pleurnichant dans la benne à ordures. Continuer à bien huiler la machine pour sauver les acquis sociaux de la masse salariale des grosses maisons d'édition et des petits épiciers du livre, alors que la foule ne lit plus de littérature et consomme de l'édition utilitaire, du buzz facebook-google, de la story sur instagram et du bouillon de culture netflix. Le marché du livre à subi une chute vertigineuse en 2017 et dramatique en 2018. La rentrée 2019 annonce le chant du cygne.
Excuse-moi, mais... je n'arrive plus à voir ce qu'il y a de glorieux dans ce mirage d'un privilège d'être encore publié afin de pouvoir continuer à engraisser le cadavre littéraire éditorial en étant payé une misère à dix pour cent de droits d'auteur sur le gâteau à partager. Je ne suis pas Saint François-d'Assise. Dieu merci. Je ne suis qu'un petit-fils de paysan qui fait l'auteur, les poches vides, la tête haute. Tu parles d'un projet de vie...
Au bout du « conte », depuis quinze ans ; une petite notoriété, les honneurs des salons-kermesses littéraires, invité comme une vieille rock-star dans les hôtels ibis, une pseudo-reconnaissance, du blabla presse bobo parisienne, parler au micro à la radio de mes deux, des ventes honorables, une grosse dizaine de milliers de lecteurs... Tout cela peut se concevoir comme une certaine réussite, vu de l'extérieur. Une forme de richesse. Faire semblant que tout va bien pendant quinze ans. Du cinéma... Une fausse richesse, en somme. Un rôle de riche, donc.
Tu sais ce que disait Charlie Chaplin ? Quand on lui demandait pourquoi il avait l'air si triste... Il disait, je suis triste parce que je suis devenu riche en jouant des rôles de pauvres. Moi, c'est l'inverse. Je suis triste parce que je suis devenu pauvre en jouant un rôle de riche. Et c'est la même tristesse à l'envers.
— Dans mes carnets, à l'endroit —
(Après le générique de fin, travelling sur l'horizon,
puis caméra zoom avant vers un ailleurs providentiel. Moteurs...)