Progressisme
— Dans mes carnets, archives —
Mais, déjà,
la lueur
de vivre
submerge
l'horizon.
(Dans mon Digital Revio, fragments de poème)
Il y a 20 ans. Octobre 2000. Le premier titre sur l'album KID A, du groupe Radiohead, ouvre le XXIème siècle. « Everything in its right place ». Tout est là, donc... À sa juste place. Et le futur peut commencer.
KID A. Une œuvre visionnaire – donc pessimiste – ou bien une œuvre pessimiste – donc visionnaire – qui donnera raison, deux décennies plus tard, aux prophéties dystopiques murmurées, de manière sibylline et symbolique, par la voix presque androïde de Thom Yorke ; « Yes-ter-day-I-woke-up-suck-ing-a-le-mon ». Quelques notes électro-pop comme sorties d'un vortex spatio-temporel, puis une phrase anodine, susurrée en boucle sur un ton monocorde et laconique, ouvrent donc le bal du siècle nouveau. « Hier, je me suis réveillé en suçant un citron », comme on dirait aujourd'hui sur les réseaux sociaux : Quand tu te réveilles en suçant un citron, lol !... Une phrase à l'acidité incipide, de moins de 140 signes, comme un statut ou un tweet accompagné d'un selfie désincarné. Nous y sommes déjà. Et personne n'y crois encore. Six mois plus tard, les gros seins de Loana sont bien réels dans le loft de la vieille télé. Rien de virtuel pour l'instant dans nos rapports humains... mais pourtant on sent déjà une drôle d'odeur. Ou plutôt une absence d'odeur... On ne se touche plus pareil. On apprend à communiquer avec des textos maladroits. On ne se regarde plus tout à fait en face. On fait mine de s'inquiéter en rigolant. Et on fait mine de rigoler en s'inquiétant (un peu). De toute façon, on s'en branle, c'est l'an 2000 ! C'est la fête ! Et on pille les droits d'auteurs des musiciens en téléchargeant comme des porcs sur Napster. C'est cool... c'est le progrès. Vivement demain qu'on puisse s'insulter avec un smiley qui pleure de rire et se menacer de mort sous couvert d'anonymat en ultra-connexion synchronisée.
Octobre 2000. Pendant que le tout jeune internet du nouveau siècle enthousiasme la foule, béate d'admiration comme devant un bébé qui vient de naître, se promettant un avenir humaniste de partage et de connaissance, Thom Yorke balbutie, avec une voix synthétique et bouleversante d'humanité cassée, des phrases brèves sans aucun contexte évident les reliant entre elles ; des bribes, des statuts ou des tweets, disais-je à l'instant. C’était il y a 20 ans. C'était hier.
« Yesterday I woke up sucking a lemon / Yesterday I woke up sucking a lemon / Yesterday I woke up sucking a lemon / Yesterday I woke up sucking a lemon / Everything / Everything / Everything / In its right place / In its right place / In its right place / Right place ».
— Dans mes carnets, écrire des fragments de siècle —
(Image de Stanley Donwood pour Radiohead © 2000)
La communauté LGBTQ+ s'interroge : « Les profs de SVT ont-ils encore le droit de heurter la sensibilité et les convictions des minorités sous-représentées en parlant de reproduction sexuée et genrée à nos enfants ? »
Simone de Beauvoir et Catherine Millet répondent sans concession dans une longue interview croisée, publiée cette semaine dans le Nouvel Obs.
— C'était un communiqué de « Jusqu'Ici-Tout-Va-Bien », merci de nous avoir suivis —
Octobre
est toujours
maigre et froid.
Il ne lui reste
que ses épines
de lâche
et quelques coups
de sang dérisoires
dans les égratignures
du vent
pour mieux berner
les loups.
— Dans mes carnets, écrire des fragments —
(Dans mon Digital Revio, bois de ronces)
À l'aube du XXIème siècle, les profs s'interrogent :
« A t'on encore le droit de caricaturer nos prophètes ? »
La France, courageusement insoumise, réplique et botte en touche :
« Il faut arrêter de dessiner des barbes !
Le problème, c'est la barbe ! »
— C'était un communiqué de « Jusqu'Ici-Tout-Va-Bien », merci de nous avoir suivis —
(Caricature de Charles Darwin / publiée dans The Hornet, le 22 mars 1871)
Ciel ouvert,
bas et obscur.
J'écris dans les ronces
et les bois morts.
Les certitudes
de la meute humaine,
galvanisée
par le vent mauvais,
griffent ma terre.
Mes mots
cherchent le terrier.
Je ne fais pas de procès,
j'essaye juste
de trouver un verbe
ou un synonyme de pourriture
pour finir la phrase
commencée il y a des siècles,
par hasard.
Je dessine
un oiseau mort décapité.
Je suis devenu
une boussole crépusculaire ;
un chant géomagnétique
désaxé.
Dans le vol froid du silence,
je pisse par inadvertance
sur les ruines des haruspices.
— Dans mes carnets, écrire des fragments —
(Dans mon Digital Revio, homelandes)
« Ton style c'est ton cul c'est ton cul c'est ton cul
Ton style c'est ton droit quand j'ai droit à ton style
C'est ce jeu de l'enfer de face et puis de pile
C'est l'amour qui se tait quand tu ne chantes plus
Ton style c'est ton cul c'est ton cul c'est ton cul »
— Léo Ferré, 1971 —
(Dans mon Digital Revio, fragment organique de minéral)
Conformément aux dernières directives dogmatiques du ministère populaire de la vérité culturelle et éditoriale (comme chez tonton Orwell), mon prochain livre de bande dessinée répondra à l'un des tout nouveaux critères en vigueur, à savoir ; un personnage principal obligatoirement issu d'une minorité ethnique sous-représentée (femme, personne LGBTQ+, personne soufrant de handicap·s, personne racisé·e et/ou stigmatisé·e, et/ou non genré·e, et/ou victime de discrimination·s systémique·s, etc.).
Mon personnage principal étant un vampire... je crois qu'au niveau « minorité ethnique », difficile d'être davantage dans les clous. Et en ce qui concerne l'appropriation culturelle (également extrêmement surveillée en ce XXIème siècle moralement exemplaire et irréprochable), mon vampire est un homme, blanc, occidental, hétéro, âgé de 500 ans, immortel... Tout comme moi, donc.
Ça devrait bien se passer...
Coming very soon, je vous tiendrai au courant de la date de sortie en librairie.
— Image extraite de mon nouveau livre en cours © Thierry Murat / Futuropolis.
172 pages en bichromie. Parution prévue aux alentours de l'an de grâce 2021 —
Si j'écris des mots comme ça,
c'est parce qu'il pleut du fiel
sur les cités fantômes
et que toute la démence de la foule
est dans mon cerveau.
Dans cet état de conscience saisonnière,
j'accueille l'amertume avec circonspection
et humilité.
De la dignité dans les décombres.
— Dans mes carnets, écrire des fragments —
(Dessin de Victor Hugo, vers 1840 / détail)
— Table de travail, septembre 2020, nouveau livre toujours en cours / page 150 —
(Thierry Murat © Futuropolis / Parution prévue aux alentours de l'an de grâce 2021)
Selon un récent sondage d'opinion, il paraîtrait que le hachoir – à l’instar de la francisque du maréchal – serait un outil beaucoup moins dangereux pour la population qu'un méchant dessin de presse satirique. Cette prophétie amère et définitive nous amène inévitablement vers une multitude de questions en suspension... La couardise est-elle une valeur morale ou républicaine ? La soumission est-elle une sublimation de la prudence ou bien le cheval de Troie du totalitarisme ? Un pays de lâches est-il objectivement plus courageux qu'une caricature ?... Le bon vieux Robert Zimmerman aimait chanter que les réponses sont toujours soufflées dans le vent.
— Dans mes carnets, fragments —
« L’être commencé homme s’achève abstraction. Tout à l’heure il avait du sang dans les veines ; maintenant il a de la lumière, maintenant il a de la nuit, maintenant il se dissipe. Saisissez-le, essayez, il a rejoint le nuage. Du réel rongé et disparaissant sort un fantôme comme du tison une fumée. Tel est ce monde, autant lunaire que terrestre, éclairé d’un crépuscule. Quant à la quantité de comédie qui peut se mêler au rêve, qui ne l’a éprouvé ? On rit endormi.
L’assoupissement du corps est-il un réveil des facultés inconnues, et nous met-il en relation avec les êtres doués de ces facultés, lesquels ne sont point perceptibles à notre organisme quand la bête le complique, c’est-à-dire quand nous sommes debout, allant et venant en pleine vie terrestre ? Les phénomènes du sommeil mettent-ils la partie invisible de l’homme en communication avec la partie invisible de la nature ? Dans cet état les êtres, dits intermédiaires, dialoguent-ils avec nous ? Jouent-ils avec nous ? Jouent-ils de nous ? Ce n’est pas ici le lieu d’aborder ces questions, plus scientifiques que ne le croit l’ignorance d’une certaine science. »
— Victor Hugo, 1864 / Le Promontoire du Songe —
(Dans mon Digital Revio, fragments lunaires on ze road)
— Charlie Hebdo n°339 / mai 1977 —
(Dessin de couverture : Georges Wolinski / Né en juin 1934.
Décédé le 7 janvier 2015, exécuté par balles à l'âge de 81 ans,
à Paris au XXIème siècle...)
« Toiles, bois, pierres humides,
pays poursuivi par l'eau,
comme la femme nocturne,
la beauté pluvieuse et chaude. »
— Philippe Jaccottet / « L'ignorant », 1958 (extrait) —
(Dans mon atelier, monotype sur papier Velin d'Arches)
En tout état de cause,
« pouvoir » et « achat »
sont deux mots
tellement fades
pris individuellement,
qu'il serait folie d'espérer
obtenir une merveille
poétique
d'enchantement
féérique
en les associant,
à brûle pourpoint,
à l'aide d'un d possessif
chamarré d'une apostrophe
à l'agonie.
Cela va sans dire...
— Dans mes carnets, fragments lexicaux —