Accommodement tolérable
« Je crois que l'essentiel lorsqu'on commence un roman
est d'avoir la conviction, non pas que l'on est capable de l'écrire,
mais qu'il est là, qu'il existe réellement de l'autre côté d'un gouffre
que les mots sont impuissants à franchir ; qu'on ne pourra en venir à bout
qu'au prix d'une angoisse à perdre haleine.
À présent, tu vois, quand je m'installe pour écrire un article,
au bout d'une heure ou à peu près, le sujet aura été pris dans le filet des mots.
Mais un roman, c'est autre chose, crois-moi.
Pour être bon, un roman doit apparaître, avant qu'on ne l'écrive.
Comme quelque chose, précisément, d'impossible à écrire ; quelque chose
que l'on peut seulement voir, clairement.
De sorte que pendant neuf mois, on vit dans le désespoir,
et c'est seulement lorsqu'on a oublié ce qu'on voulait dire,
que le livre semble tolérable.
Je t'assure, tous mes romans étaient de première qualité avant d'être écrits. »
– Virginia Woolf / Correspondances / Lettre à Vita Sackville-West - 8 septembre 1928 –
(Gravure sur bois de Loren Kantor © 2014, Los Angeles)