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Depuis novembre dernier, tout le monde parle de l'IA... avec un grand « i ». Et en écoutant de loin ce brouhaha, je dois avouer que l'intelligence artificielle des machines absurdes m'inquiète assez peu. Ce qui me terrifie, surtout, c'est la stupidité bien réelle (donc non-artificielle) avec laquelle la race humaine, lobotomisée par la téléréalité et les réseaux sociaux, va utiliser ces technologies génératives de contenus textes-images jusqu'à éradiquer définitivement notre capacité à faire la différence entre fiction et réalité ; cette capacité qui est pourtant le fondement principal de notre être-au-monde depuis que nous sommes devenus des Sapiens. Nous risquons alors de perdre notre aptitude à nous raconter... Dans cette histoire, il va falloir plus que jamais que la foule réapprenne à faire la différence entre la création artistique digitale et le fake-journalisme connecté. Autant dire entre un parapluie et une enclume. C'est pourtant pas compliqué, mais bon... pour une horde de crétins postmodernes qui ne savent plus faire la différence entre une œuvre et un artiste, entre une satire et une offense, entre un dessin et un blasphème, entre une pandémie et un complot mondial, entre un vaccin et un poison, entre un raccourci et une impasse... Bref, c'est pas gagné. Depuis novembre dernier, donc, tout le monde parle de l'IA... avec un grand « i ». Les passions tristes du quotidien, connectées sur le scrolling du fil d'actu, sont partagées entre une sorte de fascination infantile et une espèce de terreur... Celle que les anciens mystiques appelaient le « mysterium tremendum ». Resurgit alors aujourd'hui la sempiternelle crainte qu'une entité supérieure – le Grand Ordinateur – ne remplace un jour la pauvre petite médiocrité humaine, crédule et influençable. S'il est admis que les machines ne pourront jamais devenir plus intelligentes que les humains (puisqu'elles n'auront jamais conscience d'elles-mêmes), en revanche, les humains vont très vite devenir beaucoup plus cons qu'une machine à calculer et encore plus serviles qu'une machine à laver. Ce n'est pas une prophétie, c'est un constat. L'anesthésie cognitive est déjà en cours d'installation sur nos brightphones depuis plus d'une décennie. Avec l'IA omnipotente, nous allons donc devoir urgemment nous coltiner la valeur du réel et surtout son absence de valeur, tout en essayant de redonner du sens à nos existences. Mais dans cet état de crétinerie augmentée et globalisée, c'est vraiment pas gagné. 


— Dans mes carnets, fragments of times — 
(Image © Thom Yorke & Stanley Donwood, 1999 - 2000)