Correspondance (fragments de)
Mon très cher ami,
Tu veux vraiment écrire un Roman ?
Un putain de grand Roman !
Pas un livre de messe, hein...
Ni un manuel d'histoire-géo ou d'éducation civique...
Un putain de grand Roman !
Ok.
Alors arrête d'enfiler les perles du chapelet
de la condescendance généralisée.
Tu n'es pas là pour nous chier un baromètre sociétal
en récitant le bulletin météo.
Les convictions à la mode ne sont que des émotions fossiles
et monolithiques. Arrête de donner du grain aux poules.
Sacrifie-les plutôt sur l'autel de tes incertitudes les plus profondes.
Écris des hérésies de vaudous avec le sang de la volaille.
Marche pieds nus dans le feu.
Affirme.
Prends le parti de l'erreur flamboyante.
Sois au rendez-vous de nulle part, dans un déséquilibrisme de funambule.
Tu ne changeras pas le monde. Jamais.
Ni avec tes cantiques littéraires, ni avec quoi que ce soit d'autre.
Tu ne changeras pas ton lecteur. Non plus.
Alors détruis-le pour qu'il se reconstruise lui-même.
Avec sa lumière à lui.
Prends-le par derrière.
Mets-lui tes doigts dans sa bouche.
Donne-lui des chiquenaudes sur la joue.
Attrape-le par les cheveux.
Et pendant que ta main claque sur sa croupe, demande-lui s'il aime ça.
Comment ça !
Tu ne peux pas faire ça ?
Ok.
Alors continue à écrire des livres de curés.
Des livres de missionnaires.
Et maintiens ton public et les médias dans cette simulation
d'orgasme collectif.
Bien à toi.
- Ton ami -
– Dans mes carnets, mots en vrac, écrire des fragments de lettre rilkienne
et bienveillante et puis aller dessiner –
(rien à voir avec mon nouveau livre en cours)
Photo : Jean-Paul Belmondo dans « Le Magnifique »
un film de Philippe de Broca - 1973