Paysage
Je suis un paysage désolé,
Austère et vierge
De toute présence humaine.
Échoué à la frontière du néant
Et de l'absolu, je flotte sur la lande.
Je suis un drapeau blanc
En lambeaux, dans le parfum
D'une tempête de forêt.
Je n'aime pas les villes et les ruelles.
Ça sent la pisse d'un autre siècle,
Le vomi des poètes maudits,
Et ça pue la misère d'y vieillir seul
Le long des murs dégueulasses
D'un boulevard chic.
Je déteste les vieux bancs rouillés
Qui colportent l'odeur fanée
Du tout premier baiser
Des amants de Saint-Jean.
Je n'aime pas trop les statues
Des jardins publics
Et leur blanches épaules,
Où seule la fiente des pigeons
Semble encore vivante.
Les traces des hommes
Sont toujours moches et mortes.
Elles ne racontent que ce qui fût,
Jamais ce qui sera.
Je ne suis qu'un paysage désolé
Et ça me va.
Austère et vierge
De toute trace humaine,
Je regarde les empreintes
Des hérons et des loups
Sur l'horizon de mon âme en jachère ;
Une promesse de brume d'avenir
Dans les cheveux d'une déesse nue.
Un sortilège qui s'évapore
Dans un vol de fleurs sauvages.
Et ça me va, jusqu'à demain matin.
– Dans mes carnets, mots en vrac, écrire des fragments –
(Photographie : Constant Puyo, 1910)