Âges farouches
J'avais huit ou neuf ans. Et je prenais mon vélo en direction du centre commercial, à deux pas du domicile familial. Comme dans toutes les petites villes de province, il y avait là, une maison de la presse ; vitrine de la culture populaire. Je partais donc, vaillamment, pour acquérir le Pif Gadget hebdomadaire.
Je passais un temps fou à parcourir du bout des doigts les feuilles de chou que finalement je n'achèterai pas ; Podium, Ok, StarClub... Je lisais en diagonale les interviews des vedettes de papier glacé, à même le présentoir ; Balavoine qui rétorque brillamment à la question débile du journaliste : Quel est votre animal préféré ? Moi, répond-il... (Putain, mais trop bien ! Un jour je répondrai ça, moi aussi, en interview quand je serai grand...).
Le Pif Gadget était déjà coincé sous mon bras, mais je traînais encore, de rayon en rayon, histoire de prolonger le temps de l'attente. Et puis... Reprendre le vélo, monter dans ma chambre, ouvrir le Pif, poser le gadget sur la table de nuit pour plus tard et lire urgemment le nouvel épisode de Rahan, le fils des âges farouches. Je savais que je ferai ce métier plus tard ; raconter des histoires avec des dessins imprimés en offset sur du papier couché. Cela prendrait le temps qu'il faudra. Mais je savais. Le coutelas d'ivoire m'avait sûrement montré le tout début d'un bout du long chemin.
Ce soir, j'apprends que le papa dessinateur du fils de Craô, André Chéret, est parti rejoindre le Territoire des Ombres et ça me chagrine. Évidemment... C'est con, mais c'est toujours comme ça, un souvenir primitif qui s'en va ; ça fait comme un volcan qui sommeille dans la poitrine.
— Dans mes carnet, fragments de souvenirs en vrac —
(Rahan, épisode 8 / Le Clan du Lac Maudit / détail de la page 1 /
Roger Lecureux - André Chéret, 1974)