
Esthétiquement, j'ai bien peur que l'on ne fasse que régresser depuis le Néolithique, l'Antiquité et le Moyen Âge. L'apogée étant certainement le XIIIème siècle avec Giotto di Bondone, Cimabue, Rutebeuf, Dietisalvi di Speme, Jaufré Rudel, Chrétien de Troyes et les Lais de Marie de France.
À la rigueur, le XVème... avec les Primitifs flamands et François Villon, et puis Lorenzo Lotto qui donne enfin une âme à l'art du portrait au tout début du siècle suivant. Mais après... la messe est dite. La fête païenne est finie.
Circulez, y a rien à voir.
À bien y regarder de près, la Renaissance n'est peut-être rien de plus que l'instagram des XVIème et XVIIème siècle. La B.O. d'une série netflix composée par Umberto Tozzi et remixée par Vivaldi, le pizzaiolo végane des quatre saisons. Le royaume éternel selon l'évangile de Pierre & Gilles, lors d'une expo'concept dans l'espace co-working d'une bio-ferme urbaine alternative.
Finalement ce n'est peut-être que cela, la Renaissance... Une profusion d'images condescendantes, néo-classiques, ultra léchées, presque fluo, démago, vulgaires. Du storytelling, propre, lisse, éventé. Avec ces angelots dodus qui flottent comme des bisounours sous lexomil sur les nuages sucrés des plafonds rose bonbon. La modernité et le progrès sont enfin en marche sous l'œil bienveillant des apôtres bodybuildés, lovés dans les drapés des femelles lascives... Si les féministes avaient existé, elles auraient certainement coupé les couilles de Michelangelo – alors que tout le monde sait aujourd'hui qu'il était gay.
En ce qui concerne l’esthétique de la pensée, de la langue et du discernement, on peut très facilement envisager le siècle des Lumières comme le google ou le facebook du XVIIIème siècle. La voilà, la grande et belle idée de ce fantasme encyclopédique universellement partagé : la vulgarisation – qui fait confondre le savoir avec la connaissance.
Et bien sûr, lorsque l'on confond savoir et connaissance on se fourvoie dans l'impasse du « j'ai tout compris et j'ai toujours raison » comme n'importe quel crétin qui découvre un nouveau dogme, un nouveau jouet idéal, un truc en toc qui brille... Si les gilets jaunes avaient existé, ils auraient courageusement guillotiné Voltaire le cynique et Diderot le salaud de bourgeois illuminati.
Si on rajoute à tout cela, la démographie galopante et étouffante du XXème siècle, puis l'assassinat des mystères archaïques et des contes – ces vieillards immémoriaux qui avaient appris aux enfants devenus grands à écouter la musique du cœur du monde – on arrive vite au stade définitif de la crétinerie universelle. Là où l'idiot ; jadis le sage isolé et marginal, devient aujourd'hui une légion d'imbéciles au galop qui savent tout sur tout, même sur ce qu'ils ne connaissent pas.
Plus on est nombreux, réunis et connectés, plus on est cons et vulgaires.
C'est mathématique.
Heureusement, il nous reste la poésie, le dernier vestige intime du Sacré – sans le religieux. C'est ce que le XIXème siècle avait si bien compris. Mais il est le seul. Je veux bien accorder aux impressionnistes du tout début XXème, aux pictorialistes – pionniers de l'art photographique – et à Apollinaire, la souveraineté esthétique autoproclamée d'un ultime chant du cygne... Et tout le reste, comme disait Jean-Pierre Coffe, n'est que du jambon polyphosphaté.
— Dans mes carnets, petits fragments subjectifs
d'une brève histoire de l'art et de la littérature —
(illustration : bestiaire / enluminure du XIIIème siècle / anonyme)